lundi 13 février 2017

Une semaine dans un village du Ladakh en hiver

Pour ceux qui ne savent pas où c'est voir ici et je rappelle que vous pouvez cliquer sur les photos pour les voir en plus grand.

Je le connaissais bien l'été mais le Ladakh en hiver était un vieux rêve jusqu'ici inassouvi, jusqu'à ce que me soit donnée l'opportunité d'être directement envoyée dans une famille ladakhi pour y vivre quelques jours la vie en hiver d'un village de 600 habitants.

Le vol d'1h20 depuis Delhi n'est pas aussi spectaculaire qu'en été mais un survol de l'Himalaya vaut toujours le détour
Quand on survole le Ladakh on aperçoit par-ci par-là quelques villages installés comme celui-ci le long de la rivière (la grande coulée blanche au milieu) bordés par une myriade de petits champs
Dès que l'on s'approche de Leh, la capitale du Ladakh, toute trace de neige disparait, seules les montagnes environnantes en sont recouvertes.Notez la piste d'atterrissage...(la languette grise au milieu de l'image)
Leh est une bourgade plate, généralement ensoleillée et ventée ce qui fait que la neige n'y tient pas 
Le bus qui doit m'amener au village ne fonctionne plus depuis 1 mois suite à de fortes chutes de neige qui lui rendent la route impraticable. Je mets quelques minutes à trouver un taxi équipé de chaînes qui accepte de m'y amener.

Le village est à 2h30 de Leh et le paysage qui y mène beau et blanc
Le moment fatidique du chaînage arrive
Mon chauffeur a chaîné en moins de 5 minutes tout en prenant soin de serrer ses chaînes avec des cordes, car ici les chaînes ne sont pas adaptées aux différentes marques de voiture
La montée vers le village peut commencer, elle va durer 45 minutes
Les maisons de ce village à 3510 m d'altitude sont en vue
En témoigne ce grand bouddha doré qui les surplombe et c'est dans l'une d'entre elles que je vais passer ces quelques jours
Précisément dans celle-ci
L'intérieur est typique d'une maison de village ladakhi, ici la pièce principale qui fait office de cuisine et salon
Je profite de l'après-midi pour faire connaissance avec mes hôtes car le grand père, dit "mémé" (grand père en ladakhi) ancien maître d'école, et sa petite fille Tsering, qui va  à l'école à la ville, parlent anglais.

Dehors il fait moins -18° et pas beaucoup plus chaud dans ma chambre protégée par de fines fenêtres, elles-mêmes recouvertes d'un plastique.

Moi qui aime tellement aller me coucher et m'endormir je comprends rapidement que contrairement à ce que je pensais le moment du coucher va être le moment le plus éprouvant de mes journées ici. 

Dans ma chambre (que voici) il fait entre -5 et -10 degrés,
Là également le mobilier est ladakhi style, 2 couvertures matelas pliées recouverte d'un tapis 
Dans la chambre le port du sourire s'accompagne du port de la parka, jusque là tout va bien
C'est au bout de 30 minutes dans le sac de couchage que ça se corse. J'ai si froid que j'ai l'impression de camper. Je dois avouer que malgré ma bouillotte, 2 pantalons,1 damart, 4 pulls, un sac de couchage, 4 couvertures , 1 bonnet et 2 écharpes j'ai chaque soir lutté pendant plus de 2 heures pour trouver le sommeil trop secouée de frissons.
Les journées sont ainsi rythmées: 8h réveil en douceur, je me change dans mon sac de couchage avec mes habits déjà chauds puisque je prenais soin chaque soir de les déposer à mes côtés dans le sac.

Puis petit thé chaud en bas préparé par les grands-parents dans l'un des nombreux thermos de la maison
avant de se mettre à enlever la neige tombée sur les 3 toits-terrasses pendant la nuit (voilà le toit terrasse et ma chambrette en arrière plan)
Pas question de se débiner si pépé et mémé âgés respectivement de 72 et 73 ans s'y mettent ainsi que la petite Tsering de 11 ans, il serait mal vu que je ne fasse pas de même. D'autant plus que ne pas enlever la neige sur le toit serait prendre le risque que le poids de la neige fasse craquer la frêle construction de la maison. Dans les villages ladakhi tout le monde doit mériter ses repas.
La petite Tsering à l'ouvrage
Vers 10h30 c'est la pause petit-déjeuner, les locaux prennent ce qu'ils appellent une "soupe": mélange de thé, beurre, fromage de dri (femelle du yak), qu'ils mélangent à la main avec le la tsampa (farine d'orge grillée) jusqu'à en faire une pâte qui puisse être consommée sous forme de boulette
Devenue intolérante à diverses céréales, je ne peux plus consommer la tsampa que j'aimais pourtant bien et me rattrape donc sur des patates et du riz, plat très indien et qui tient au corps
On retourne ensuite finir d'enlever la neige sur les toits jusqu'au déjeuner et en général c'est mémé (donc papy) qui cuisine car il adore ça (merci d'admirer la "touillette" -on dirait des spaghettis- j'ai pris la photo exprès pour vous)
Une fois les corvées urgentes accomplies, le programme est libre. Repos, tissage, cardage de la laine...moi je préférais aller dehors (moins froid qu'à l'intérieur car même sans soleil les UV chauffent un peu à travers les nuages) jouer avec les enfants (l'hiver au Ladakh est synonyme de grandes vacances car il fait trop froid pour aller en classe). 

Tsering, sa copine Angmo et moi déambulons dans les rues enneigées du village, déambulation agrémentée de ragots locaux dont je suis friande 
Maisons typiques
.
Salle communautaire qui sert pour les festivités
L'un des moulins à eau du village quelque peu gelé en cette saison...
Moulin à tsampa qui sert à broyer l'orge récolté
Sculpture sur glace naturelle
Crâne de bête égorgée par un loup ou un léopard des neiges
Monastère local, trop petit pour que des moines y résident à l'année, on va les chercher dans le village d'à côté quand il faut célébrer des puja
Les filles aiment me faire entrer dans toutes les maisons abandonnées, qui ont toutes appartenu aux ancêtres du village et délaissées par les générations suivantes qui ont préféré faire construire tout près, et dont elles connaissent la cachette de toutes les clés
La pièce qui à l'époque faisait office de cuisine, de pièce à vivre et de chambre
Puis un peu de "eskate" avec l'accent local, fabrication artisanale et croisement entre luge et patin à glace agrémenté de petits bâtons dont on se sert pour freiner
Nous rentrons ensuite à l'intérieur dans la pièce principale où j'en profite pour lire avant de dîner tous ensemble autour du poêle, allumé de temps en temps, qui fonctionne à l'aide de quelques branchages mais surtout de bouses de yak, le principal combustible de la région (mais on se les caille quand même) 
On zappe ensuite un peu à la télé indienne et vers 21h tout le monde va se coucher
Les nuits suivantes il neige beaucoup
Tout le village est recouvert d'une épaisse couche de neige
Même les vêtements sensés sécher ne sont pas épargnés
Un après midi les filles veulent me montrer le plus vieux genévrier du village, l'arbre serait aussi vieux que le Bouddha. Nous nous mettons en route dans les rues désertes du village
Et comme souvent notre chemin est barré par des dzo, mélange de yak et de vache, qui circulent librement dans le village et me font toujours un peu peur. 
Les adultes locaux savent comment les écarter en leur lançant de petites pierres et en criant d'une certaine façon, mais les filles et moi avons la trouille de ces monstres de 700 kg et préférons toujours les contourner au risque comme ici de s'enfoncer dans la neige profonde
Débarrassée des dzo, j'organise mon activité préférée: leur faire faire des sauts et les prendre en photo en action, cela déclenche toujours de grands éclats de rire
Non mais regardez moi cette bouille !
Nous continuons d'avancer seules dans la neige et l'immensité vers le genévrier doublement millénaire 
Les petites fatiguent et alternent pauses...
...et batailles de boules de neige
Quand nous atteignons enfin Ama Shukpa (la mère genévrier) l'arbre en question,
Nous apercevons mémé (le grand père vous suivez ?) venu nous chercher. Des femmes du village s'inquiète pour nous car 5 loups ont été vus en train de rôder près du village quelques heures auparavant, et vous imaginez qu'en cette période hivernale ils ont plutôt faim...
Nous rebroussons donc chemin et mémé en profite pour m'expliquer qu'il faut toujours partir avec une boite d'allumettes afin de pouvoir mettre le feu  à des branches en cas de rencontre avec un animal sauvage de la région
Nous regagnons le village où Bouddha trône...
...enneigé 
Le lendemain et les jours suivants le soleil se montre enfin, mais il a encore neigé pendant la nuit et comme le voisin que vous apercevez sur la photo il va encore falloir déneiger
Le ciel couvert jusque là laisse place à un spectacle que je ne soupçonnais pas: la magnificence des montagnes environnantes dont l'époustouflante chaîne du Zanskar en guise de toile de fond
Dans un tel contexte l'opération déneigement quotidien recèle un goût encore plus savoureux
Sous le regard exorbité de la petite dzomo (dzo femelle) de mémé qui piaffe d'impatience de sortir de son enclos de nuit pour aller rejoindre ses congénères déjà en train d'arpenter les rues du village
Il y a tellement de neige qu'il faut ce jour là s'y mettre à plusieurs afin d'accélérer le travail avant que la neige ne fonde et ne coule à l'intérieur via le trou du poêle de la maison
Après le déjeuner Angmo et moi partons nous promener au village, et pour changer la route est encore barrée par un groupe de dzomo et leurs petits. 
Elles ne sont pas trop grosses, nous oserons donc pour une fois traverser le gang de bovins 
afin de rejoindre Tsering et Norbu qui "eskatent"
Une autre séance de sauts est réclamée
-Vous noterez au passage que j'ai retouvé Fifi Brindacier-
et le petit Norbu finira complètement enneigé
Nous décidons de remonter au grand Bouddha
Près du Bouddha les enfants allument des bâtons d'encens et des lampes à beurre
Vue sur le village depuis le Bouddha 
Nous descendons ensuite faire un tour vers la rivière gelée et enneigée
Et en chemin nous apercevons un panneau qui indique les différents animaux de cette vallée: bouquetin asiatique, mouflon du Ladakh, marmotte, lièvre, loup tibétain et mon préféré absolu: le léopard des neiges !
On continue la balade au milieu des stupa (reliquaires bouddhistes)
Et inscriptions sacrées, ici le mantra Om Mani Padme Um
Pour mon dernier jour rebelote, si les toits sont maintenant déneigés et qu'il n'a pas re-neigé dessus il faut néanmoins dégager le tchumpo, les herbes coupées et séchées soigneusement entreposées sur les bords de toits l'hiver, seule nourriture possible pour les dzo, moutons, chevaux, ânes, mules etc...
Après cela, mémé lui, en profite pour faire une petite provision de bois, rare dans cette région et utilisé avec parcimonie
Moi je suis chargée de ramener le bois
Pendant que la grand mère installe l'herbe de la dzomo
Dans l'étable
Tsering elle a décidé de se laver (sachez qu'il n'est absolument pas courant dans ses régions de se laver intégralement en hiver !) Réchauffée par son seau d'eau à peine tiède, c'est pieds nus et sans manteau qu'elle vient faire sécher ses cheveux au soleil qui commencent à geler en moins d'une minute !!!
Puisqu'on parle technique voici les chiottes: un trou dans la terre où l'on envoie tout 2 m plus bas que l'on recouvre ensuite avec une petite pelletée de terre, ça n'a pas l'air engageant comme ça mais c'est simple, efficace, hygiénique et recyclable, le toit (photo de droite) est comblé avec de l'herbe à yak connue pour ses propriétés étanches et ces toilettes ne dégagent aucune odeur puisque la grande fenêtre ne se ferme pas...c'est donc un peu frisquet par contre...
Par contre le luxe ultime de ce chiotte est d'avoir vue sur la chaîne du Zanskar !
L'après-midi de mon dernier jour est encore une fois consacré à la promenade, et j'en profite pour immortaliser les nombreuses perdrix que l'on voit et entend chaque jour
et...les quelques pigeons ! Et là j'avoue que je suis bluffée je ne m'attendais pas à trouver des pigeons à 3510 m par -18° ! 
Autre rencontre cet après midi là, mon petit veau préféré et ces 2 moutons
Les filles s'amusent ensuite à poser avec des cornes de -feu- un bouquetin
Un énorme dzo squatte encore la rue et je suis surprise de voir que les femmes du village lui cèdent elles aussi le passage
avant de se faire appâter par un homme avec une botte de paille histoire de le dégager temporairement du chemin
Mon regard se porte une dernière fois vers la chaîne du Zanskar, dans le décor le plus pur et le plus silencieux que j'ai jamais connu
Cette semaine dans ce petit village où les heures s'égrainent lentement et simplement mais sans ennui restera vraiment une très belle expérience de ma vie.

8 commentaires:

  1. Quel plaisir de lire ce magnifique voyage en se levant! Je t'envie je voulais Te poser des questions sur les chiottes me tt est expliqué :)

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  2. Merci la Sardine. Ravie de t'avoir éclairée sur les chiottes !

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  3. C'est une expérience géniale !
    Où les enfants vont ils à l'école ? Dans la ville très loin ? Et quel est le métier des parents ? Vivent ils comme en Inde ?
    Super on attend la suite

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    1. Merci anonyme.

      Certains enfants du village vont à l’école au village mais les 2 petites filles vont, elles, à l’école à « la ville » à Leh, capitale du Ladakh à 2h30 de là.

      Leurs pères sont militaires pour l’armée indienne, chacun basés dans des villes indiennes différentes, et leurs mères sont employées administratives à Leh.

      Je ne connais pas leurs parents, mais seulement leurs grands-parents chez qui elles sont envoyées tous les hivers pour les grandes vacances (puisqu’au Ladakh les 2 mois de vacances sont systématiquement en hiver).

      Pour l’instant en tout cas, les 2 petites disent préférer la vie au village et aspirent à venir y vivre à l’âge adulte.

      A la question « vivent-ils comme en Inde » j’ai envie de dire oui d’une certaine façon car le Ladakh fait partie de l’Inde, que tous ces gens regardent la télé indienne et les films Bollywood, et que les jeunes générations parlent et comprennent l’hindi.

      Cependant l’Inde est un pays aux multiples et il est évident qu’on ne vit pas tout à fait de la même façon quand on est d’origine tibétaine, de religion bouddhiste à 3500 m d’altitude en Himalaya, qu’un paysan hindou dans la fournaise de la plaine indienne.

      J’espère que cela répond à ta question.

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  4. Coucou Béné ! Puis-je te demander comment as-tu eu l'occasion de passer ces quelques jours dans ce petit village ? Bien que la vie y soit rude (-10° dans la chambre, je pense que je n'aurais pas survécu ^^') tu as dû vivre une expérience magique :) Merci beaucoup de nous l'avoir fait partager, ces images font vraiment rêver :)

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  5. Salut Hina, contente de voir que tu suis toujours mes aventures. Cela faisait longtemps que j'avais envie de connaître la vie d'un village ladakhi en hiver et j'ai demandé à quelqu'un qui a des contacts là-bas de me trouver une famille qui accepterait de m'héberger. Ceci dit on peut aussi très bien se pointer à Leh et demander aux gens de la ville si des membres de leur famille restés au village accepteraient d'héberger un étranger pendant quelques jours. Cela est extrêmement facile à trouver d'autant plus en hiver. Et oui c'est une très belle expérience !

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